L’absolution n’empêche pas toujours l’interdiction de territoire pour grande criminalité

Introduction

En droit criminel canadien, l’absolution est une mesure exceptionnelle prévue par le Code criminel (C.cr.). Elle permet à un accusé reconnu coupable d’éviter la condamnation, mais sans effacer sa déclaration de culpabilité. Cette impunité légale est justifiée par l’intérêt véritable du coupable, en l’absence d’atteinte à l’intérêt public.

Cette mesure soulève une question cruciale en droit de l’immigration : l’absolution permet-elle toujours d’éviter une interdiction de territoire pour grande criminalité en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) ?

Nous examinerons d’abord la distinction entre déclaration de culpabilité et condamnation, puis la nature et les effets de l’absolution. Nous analyserons ensuite son impact sur l’immigration. Enfin, nous illustrerons nos propos par la décision Ranger c. Canada avant de conclure.

Quelle est la distinction entre la déclaration de culpabilité et la déclaration de condamnation ?

En droit criminel canadien, il importe de distinguer deux notions fondamentales : la déclaration de culpabilité et la déclaration de condamnation. La première désigne la décision par laquelle le tribunal reconnaît que l’accusé a commis l’infraction reprochée, engageant ainsi sa responsabilité criminelle. La seconde correspond à la décision par laquelle le tribunal prononce la peine applicable à l’infraction pour laquelle l’accusé a été reconnu coupable.

Dans l’affaire R. c. Doyon, [2004] J.Q. no 13986 (C.A.), la Cour d’appel du Québec confirme que la déclaration de culpabilité et la déclaration de condamnation sont deux notions distinctes.

Le processus criminel comporte plusieurs étapes, notamment :

  1. Arrestation et dénonciation ;
  2. Comparution et plaidoyer ;
  3. Procès ;
  4. Verdict ou déclaration de culpabilité, de non-culpabilité (acquittement), d’inaptitude ou de non-responsabilité ;
  5. Détermination de la peine à infliger à l’accusé déclaré coupable et prononcé de cette peine (condamnation) ou décision de lui accorder l’absolution, ou encore décision de surseoir au prononcé de la peine et d’ordonner que l’accusé soit libéré selon les conditions prévues dans une ordonnance de probation.

Ainsi, la condamnation est la suite logique de la culpabilité, à moins qu’une autre mesure, comme l’absolution, n’interrompe ce processus.

Qu’est-ce que l’absolution ?

Le paragraphe 730(1) du C.cr. dispose que :

« Le tribunal devant lequel comparaît l’accusé, autre qu’une organisation, qui plaide coupable ou est reconnu coupable d’une infraction pour laquelle la loi ne prescrit pas de peine minimale ou qui n’est pas punissable d’un emprisonnement de quatorze ans ou de l’emprisonnement à perpétuité peut, s’il considère qu’il y va de l’intérêt véritable de l’accusé sans nuire à l’intérêt public, au lieu de le condamner, prescrire par ordonnance qu’il soit absous inconditionnellement ou aux conditions prévues dans l’ordonnance rendue aux termes du paragraphe 731(2). »

En un mot, cette disposition confère au tribunal criminel compétent le pouvoir de ne pas prononcer de condamnation contre un accusé qui a plaidé coupable ou a été reconnu coupable. Ce faisant, il lui accorde une absolution inconditionnelle ou une absolution conditionnelle. Dans ce dernier cas, il rend une ordonnance de probation contre lui, assortie des conditions obligatoires suivantes : ne pas troubler l’ordre public et avoir une bonne conduite ; répondre aux convocations du tribunal ; prévenir le tribunal ou l’agent de probation de ses changements d’adresse ou de nom et de les aviser rapidement de ses changements d’emploi ou d’occupation [art. 732.1(2) C.Cr.]. La durée d’application maximale d’une telle ordonnance est de trois ans [732.2(2)b) C.cr.].

Plusieurs conditions doivent être réunies pour que le tribunal soit en mesure d’exercer ce pouvoir. En premier lieu, l’accusé doit être une personne physique, et non pas une organisation au sens du C.cr. (art. 2). En deuxième lieu, il doit avoir plaidé coupable ou été reconnu coupable à la suite d’un procès. En troisième lieu, soit la loi ne prévoit pas de peine minimale pour l’infraction reprochée, soit cette infraction n’est pas punissable d’un emprisonnement de quatorze ans ou à perpétuité. En dernier lieu, le tribunal doit considérer qu’il y va de l’intérêt véritable de l’accusé, sans que cela porte atteinte à l’intérêt public, c’est-à-dire le bien-être de la société dans son ensemble (R. c. Morales, [1992] 3 R.C.S. 711). Cela implique donc un équilibre entre l’intérêt de l’accusé d’un côté et le bien-être de la société de l’autre.

L’absolution se substitue à la condamnation que le tribunal devrait normalement prononcer contre l’accusé reconnu coupable. Cette interprétation découle de l’expression « au lieu de » figurant dans le texte. Cependant, elle ne remplace pas ni n’annule la déclaration de culpabilité, qui peut même faire l’objet d’un appel.

Quels sont les effets juridiques de l’absolution ?

Le paragraphe 730(1) du C.cr. dispose que : « Le tribunal […] peut, s’il considère qu’il y va de l’intérêt véritable de l’accusé sans nuire à l’intérêt public, au lieu de le condamner, prescrire par ordonnance qu’il soit absous inconditionnellement ou aux conditions prévues dans l’ordonnance […] ».

Pour sa part, le paragraphe 730(3) C.cr. établit que : « Le délinquant qui est absous […] est réputé ne pas avoir été condamné à l’égard de l’infraction […] ». Il ajoute que : « [il] peut interjeter appel du verdict de culpabilité comme s’il s’agissait d’une condamnation à l’égard de l’infraction à laquelle se rapporte l’absolution ».

Selon ces deux dispositions du C.cr., l’absolution a pour effet d’éviter le prononcé d’une peine contre un coupable, tout en laissant subsister sa déclaration de culpabilité. En remplaçant la condamnation, l’absolution empêche son existence. L’accusé n’est donc pas condamné, bien qu’il ait plaidé coupable ou ait été reconnu coupable. Elle lui permet ainsi d’échapper à toute peine, autrement dit de s’en sortir en toute impunité. Cependant, cette impunité est légale et justifiée par l’objectif du législateur, à savoir prévenir les incapacités et stigmates liés à la condamnation criminelle, chaque fois que cela ne compromet pas le bien-être de la société (voir art. 2.3 de la Loi sur le casier judiciaire). Néanmoins, la culpabilité demeure, c’est-à-dire que l’accusé demeure coupable, bien qu’il ne soit pas condamné grâce à l’absolution (absous).

Cela dit, l’absolution ne produit pas l’effet de non-culpabilité d’un verdict d’acquittement ni celui d’un verdict de non-responsabilité criminelle. En d’autres termes, elle ne remplace pas la culpabilité, mais uniquement la condamnation. Dans Houle c. Barreau du Québec, 2002 CanLII 63511 (QC CA), la Cour d’appel du Québec soutient que l’absolution n’a pas pour effet de faire disparaitre la déclaration de culpabilité. Celle-ci subsiste donc, même si l’accusé coupable a été absous.

Cette distinction est capitale : car la déclaration de culpabilité, à elle seule, peut engendrer des conséquences néfastes comparables à celles d’une condamnation, notamment en matière d’immigration et d’emploi (vérifications des antécédents judiciaires).

Dans l’affaire R. c. Doyon (cité précédemment), la Cour a établi que l’accusé coupable ayant bénéficié de l’absolution peut répondre « non » aux questions :

  • « Avez-vous déjà été condamné ? »
  • « Avez-vous un casier judiciaire ? »

Cependant, nous ajoutons qu’il doit répondre « oui » aux questions :

  • « Avez-vous déjà été accusé d’une infraction criminelle ? »
  • « Avez-vous déjà été déclaré coupable ? »

La réponse négative sur l’existence d’un casier judiciaire doit être nuancée. Le paragraphe 6.1(1) de la Loi sur le casier judiciaire prévoit le retrait de la mention d’une absolution dans le fichier automatisé des condamnations criminelles géré par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) après un an (absolution inconditionnelle) ou trois ans (absolution conditionnelle). Durant ces délais, le dossier existe dans ce fichier et peut être communiqué à tous sans aucune restriction.

Ce maintien temporaire du casier judiciaire crée un paradoxe : l’accusé est réputé ne pas avoir été condamné, mais reste associé à un fichier destiné aux condamnés criminels. Il serait donc recommandé que la personne absoute prenne l’initiative de demander à la GRC de retirer son dossier du fichier dès l’ordonnance d’absolution, sans attendre le retrait automatique prévu après un an ou trois ans. Cette démarche, bien que facultative, permet de limiter les conséquences pratiques liées à la persistance temporaire du dossier dans le fichier.

L’absolution permet d’éviter une condamnation, en raison de ses répercussions négatives sur la réputation de la personne reconnue coupable. Cependant, son efficacité est limitée par la persistance de la culpabilité et la présence d’un casier judiciaire temporaire. Une réforme pourrait envisager un mécanisme de suspension ou de suppression sans délai de la déclaration de culpabilité du fichier automatisé des condamnations criminelles, afin d’atteindre pleinement l’objectif de cette mesure.

Quel est l’impact de l’absolution sur l’immigration ?

Selon l’alinéa 36(1)a) de la LIPR, « emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants : être déclaré coupable au Canada d’une infraction prévue sous le régime d’une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction prévue sous le régime d’une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé ».

La structure de ce texte comporte deux critères disjonctifs, pouvant ainsi chacun entraîner l’interdiction de territoire pour grande criminalité.

  • Critère 1 : Déclaration de culpabilité uniquement (être déclaré coupable au Canada d’une infraction prévue sous le régime d’une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans).
  • Critère 2 : Déclaration de culpabilité et déclaration de condamnation (être déclaré coupable au Canada d’une infraction prévue sous le régime d’une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé).

Le premier critère vise exclusivement la déclaration de culpabilité. Il s’applique à condition que l’infraction reprochée soit prévue par une loi fédérale et punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans. L’absolution ne le rend donc pas inapplicable, puisqu’il ne concerne pas la condamnation, mais uniquement la culpabilité.

Par exemple, une personne reconnue coupable de séquestration (art. 279(2) C.cr.), mais absoute, demeure susceptible de faire l’objet d’une interdiction de territoire pour grande criminalité en vertu de ce premier critère de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR, et ce, du seul fait de sa déclaration de culpabilité. En effet, cette infraction est passible d’un emprisonnement maximal de dix ans, ce qui la fait entrer dans le champ d’application de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR, son premier critère.

Le second critère se rapporte simultanément à la déclaration de culpabilité et à la condamnation qui en découle. Il s’applique pourvu que l’infraction reprochée soit prévue par une loi fédérale et qu’une peine d’emprisonnement de plus de six mois ait été infligée. En effet, tout critère qui exige la culpabilité et la condamnation devient inapplicable si la condamnation n’existe pas. Le second critère de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR exige la culpabilité et la condamnation (peine d’emprisonnement de plus de six mois). Or, l’absolution remplace la condamnation. Donc, l’absolution rend le second critère inapplicable.

En guise d’exemple, une personne reconnue coupable de voies de fait (frapper ou pousser violemment) ou de profération de menaces de mort ou de lésions corporelles (art. 266 ou 264 c.Cr.) peut être absoute. Dans ce cas, elle n’est pas susceptible d’interdiction de territoire en vertu du second critère. En effet, elle n’a pas reçu de peine d’emprisonnement de plus de six mois, même si elle a été déclarée coupable. L’une ou l’autre de ces deux infractions est passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans, ce qui les exclut du premier critère. Elles entreraient toutefois dans le second si une peine d’emprisonnement de plus de six mois avait été imposée.

Néanmoins, si l’infraction reprochée est punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans, elle relève alors du premier critère. Comme nous l’avons déjà vu, l’absence de condamnation — grâce à l’absolution — ne neutralise pas l’application de ce premier critère, qui repose exclusivement sur la culpabilité.

Affaire Ranger c. Canada

Dans l’affaire Ranger c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CanLII 95302 (CA CISR), l’appelant a fait l’objet d’un rapport d’interdiction de territoire pour grande criminalité en vertu de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR. Cela a entraîné la prise d’une mesure de renvoi à son encontre. En effet, il a été déclaré coupable de l’infraction de « possession de monnaie contrefaite », prévue à l’alinéa 450b) du C.cr. Toutefois, il n’a pas été condamné, car il a bénéficié d’une absolution sous conditions assortie de six mois de probation. Cette infraction est passible d’un emprisonnement maximal de 14 ans.

La question en litige était finalement de savoir si une absolution sous conditions empêche l’application de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR, qui prévoit l’interdiction de territoire pour grande criminalité.

Comme nous l’avons vu, « être déclaré coupable au Canada d’une infraction prévue sous le régime d’une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans » constitue un motif d’interdiction de territoire, selon l’alinéa 36(1)a) de la LIPR (premier critère).

Or, l’appelant a été reconnu coupable de « possession de monnaie contrefaite » en vertu de l’alinéa 450b) du C.cr., une infraction passible d’une peine d’emprisonnement maximale de 14 ans.

En conséquence, la déclaration de culpabilité suffisait, en principe, à établir le motif d’interdiction de territoire, sans égard à l’absence de condamnation. Pourtant, la Section d’appel de l’immigration a accepté les observations des parties selon lesquelles l’absolution empêchait l’application de l’alinéa 36(1)a).

Avec égards, nous estimons que cette décision est discutable. Elle ne devrait pas être interprétée comme excluant l’application de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR à toutes les personnes ayant obtenu une absolution. En effet, la règle demeure que la déclaration de culpabilité constitue le critère déterminant pour le premier critère de cette disposition, et non la condamnation.

Conclusion

L’absolution constitue une mesure d’indulgence essentielle en droit criminel canadien, visant à éviter les stigmates d’une condamnation. Toutefois, elle ne supprime pas la déclaration de culpabilité. Or, en droit de l’immigration, l’alinéa 36(1)a) de la LIPR prévoit que, pour toute infraction fédérale punissable d’un emprisonnement maximal de dix ans ou plus, la simple culpabilité suffit à entraîner une interdiction de territoire pour grande criminalité, même en l’absence de condamnation. Ainsi, l’absolution ne protège pas toujours contre cette conséquence migratoire.

Pratiquement, cela impose aux avocats d’informer clairement leurs clients : une absolution peut réduire les stigmates d’une condamnation en droit criminel, mais n’empêche pas toujours les effets en immigration lorsque le premier critère de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR s’applique.

À plus long terme, une réflexion législative pourrait envisager un ajustement de la LIPR pour mieux articuler les objectifs de l’absolution en droit criminel et les impératifs de protection du public en droit de l’immigration, comme en droit criminel.

 

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